Le PDG de Dialogue, Cherif Habib, a récemment été interviewé dans le cadre du balado The Growth Effect, animé par la fondatrice de la jeune pousse, auteure et conférencière Sarah Stockdale. La conversation a porté sur les défis et les réussites de l'entrepreneuriat, et un accent particulier a été mis sur la croissance des activités dans les circonstances inédites auxquelles nous sommes confronté(e)s en 2020.
Lisez la transcription de l'entrevue ci-dessous, vous y découvrirez les hauts et les bas de l'entrepreneuriat, les stratégies à adopter pour diriger des équipes pendant des périodes d'incertitude, la façon dont Cherif Habib a guidé Dialogue et fait croître de dix fois ses activités pendant la pandémie mondiale, et plus encore.
Sarah Stockdale : C'est à l'âge de 16 ans que Cherif Habib a lancé sa première entreprise. Je ne sais pas pour vous, mais, moi, je n'ai pas lancé d'entreprise lorsque j'étais au secondaire. J'étais si occupée à nettoyer le plancher d'une épicerie que je ne songeais même pas à avoir un stand de limonade.
Cherif Habib : Mes quatre grands-parents étaient entrepreneurs en Égypte. Mon grand-père était agronome. Il cultivait des fruits et des légumes et était un grand producteur de fleurs. Et ma grand-mère possédait une entreprise de fleurs. C'est donc l'environnement dans lequel j'ai grandi. Je n'ai jamais pensé à faire autre chose.
SS : Il dirige maintenant Dialogue, une entreprise de télésanté en plein essor. Mais Cherif est humble. Il n'essaie d'impressionner personne. En lui parlant, on se rend compte qu'il a décidé de devenir entrepreneur parce qu'il ne pouvait tout simplement pas s'imaginer faire autre chose. Il adore diriger des entreprises et diriger des gens. Et, il excelle tout simplement dans ce domaine. Et puis la COVID a frappé.
En matière de croissance, il y a peu d'entreprises qui en connaissent une aussi rapide que Dialogue. En effet, Dialogue a dépassé toutes les attentes cette année; elle s'est classée au septième rang des entreprises qui connaissent la croissance la plus rapide au Canada. Cette situation s'explique en grande partie par la COVID et manière dont elle a bousculé nos façons de faire, y compris la prise en mains de notre propre santé lorsque nous ne sommes pas nécessairement en mesure de nous rendre au cabinet d'un médecin. Elle a accéléré le plan d'affaires de Dialogue de plusieurs années. Au début de la pandémie, la taille de l'entreprise a cru de 10 fois en seulement quatre semaines, et celle-ci a accueilli 600 employé(e)s en 100 jours. Ce sont six nouveaux membres d'équipe par jour pendant plus de trois mois consécutifs!
Mais cette intensification comportait certains risques : la protection de Dialogue est généralement un avantage offert aux employé(e)s, l'entreprise était donc exposée aux ralentissements économiques. Pour assurer la croissance rapide d'une entreprise pendant des périodes difficiles, il faut une personne d'expérience aux commandes, et Cherif était l'homme de la situation.
CH : Je crois que si l'on pense à mes débuts et à l'endroit où je me trouve aujourd'hui, on constate clairement que chaque expérience prend appui sur celle qui l'a précédée. Cependant, les choix que j'ai faits, dans l'ordre que je les ai faits, n'ont jamais eu de sens à l'époque. Mais le monde a une drôle de façon de faire des liens; on ne s'en rend tout simplement pas compte au moment où cela se produit. C'est une leçon qu'on ne pourrait jamais enseigner, car on dirait une invention, un truc nouvel âge. Il faut donc le vivre soi-même pour prendre conscience de toute la vérité que cette leçon revêt.
SS : Que retenez-vous des débuts de vos entreprises et qu'avez-vous appris?
CH : C'était la seule chose que je connaissais et, comme je n'étais pas conscient de ce que je faisais, je n'ai jamais cru que la création de mes propres entreprises était difficile et qu'elle pouvait comporter un risque. J'ai eu beaucoup de chance, car à l'époque où je terminais mes études secondaires et que je commençais l'université, je vivais avec mes parents. J'avais leur soutien total. Je ne risquais pas de me retrouver à la rue en cas d'échec. Donc, je suis mal à l'aise lorsque les gens me disent « vous avez pris tellement de risques ». Ce n'est pas tout à fait vrai, parce que ma famille était très solidaire; mes parents étaient là et me soutenaient. Bien qu'ils n'aient pas investi financièrement dans les entreprises, j'ai toujours eu un toit au-dessus de ma tête. Et, en réalité, ce n'est pas tout le monde qui a ce privilège. Je reconnais que j'ai eu beaucoup de chance, et, sans cela, j'aurais peut-être cherché des occasions beaucoup plus sûres.
Certaines personnes affirment que naître au Canada ou aux États-Unis, c'est comme gagner à la loterie, parce que nous y avons d'incroyables possibilités. Je ne suis pas né au Canada, mais mes parents sont venus ici quand j'étais très jeune. J'ai tiré profit de nombreux avantages, tant sur les plans de l'éducation que des communautés locales, qui sont comparables à gagner à la loterie. En ce sens, je me sens donc chanceux.
SS : J'adore que vous soyez conscient de ce privilège, car, bien souvent, lorsqu'on ne s'intéresse qu'aux éléments positifs des histoires de réussite entrepreneuriales, on pourrait penser : « D'accord, peut-être que cette personne avait un atout que je n'avais pas ou qu'elle a pu réduire les risques associés au démarrage d'une entreprise d'une autre façon. » Je crois qu'il existe quelques zones grises quant aux différents ingrédients à réunir pour assurer la réussite d'un entrepreneur.
De ce fait, avant Dialogue, vous aviez fondé une société appelée FreshMint, que vous avez vendue en 2018. Vous avez bâti cette société à partir de zéro, vous l'avez vendue, puis très rapidement par la suite, vous avez cofondé Dialogue. Pouvez-vous me parler un peu des hauts et des bas que l'on vit lorsque l'on met sur pied une entreprise, qu'on la fait croître pendant cinq ans, qu'on la vend, puis que l'on bascule très rapidement vers un autre projet très différent?
CH : Oui, bien sûr. FreshMint est une entreprise de livraison de produits alimentaires basée sur la technologie, qui a été montée sur mesure et intégrée verticalement. Il suffit de cliquer sur un bouton, et un repas frais et sain est livré à votre porte dans un délai de 25 minutes. FreshMint est arrivée avant les DoorDash et les Uber Eats de ce monde. Je suis donc très fier d'avoir eu cette idée d'entreprise. Elle recoupait l'entreprise précédente que j'avais eue : une société de dispositifs médicaux, que nous avons également fini par vendre. Il est toujours un peu triste de signer ces papiers - quel que soit le résultat financier - parce que l'on ressent un peu de nostalgie lorsqu'une aventure prend fin. Mais, en même temps, on est impatient de lancer son prochain projet, et le cycle se poursuit.
SS : Vous avez mentionné la société de dispositifs médicaux que vous avez fondée avant FreshMint... Pouvez-vous me parler un peu de cette expérience?
CH : Mon oncle est un chirurgien hépatique de renommée mondiale, et il habite à Londres, au Royaume-Uni. Il avait des idées et avait fait breveter des technologies qui avaient été développées. Lorsque je suis sorti de l'école de commerce, je l'ai rejoint et j'ai dirigé le côté commercial de l'entreprise. Après quelques années, j'ai assumé le rôle de PDG. Il pouvait alors se concentrer sur le domaine dans lequel il excellait et qui le passionnait : la science et le côté médical de l'entreprise. C'était un partenariat très fort, car nous nous marchions très rarement sur les pieds. Mais, plus important encore, une confiance totale régnait entre nous deux. Les gens disent toujours que l'on ne devrait jamais travailler avec nos amis ou notre famille, mais nous nous faisions entièrement confiance. De ce fait, même lorsque nous étions en désaccord, et pour être honnête, cela arrivait souvent, par rapport aux choses du quotidien, nous savions que la confiance était là et que nous ne nous laisserions jamais tomber. Maintenant que nous avons vendu cette entreprise et que ce fût une réussite pour nous deux, nous sommes toujours très proches. C'est pourquoi je n'ai jamais cru qu'il ne « faut pas se lancer en affaires avec des amis et des proches, car ça risque de détruire la relation. » J'ai fait exactement le contraire et, si c'était à refaire, je le referais.
SS : Vous avez réussi à quelques reprises, et la plupart des gens échouent presque toujours. Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui essaient de déterminer les bonnes personnes avec qui démarrer une entreprise? Qu'avez-vous fait pour que cela fonctionne?
CH : La plupart du temps, les gens se lancent en affaires avec un clone d'eux-mêmes. Par exemple, deux personnes ayant une formation en comptabilité se lancent en affaires. Vient ensuite la question suivante : qu'allez-vous faire avec deux compétences identiques? Bien entendu, mon oncle et moi avons eu des mésententes, et il y a eu des jours, des semaines ou même des mois où nous avions marre de l'autre. Mais, au bout du compte, l'expérience nous a rendus plus forts, parce que nous avions confiance l'un en l'autre, nous étions complémentaires. La confiance est très importante, et on ne peut la pirater ou l'accélérer. On parle de fondateurs qui se fréquentent ou de l'importance de trouver un fondateur lors d'une conférence, mais je n'y crois pas vraiment. Bien sûr, il ne faut jamais dire jamais, car, dans certaines situations, ces options peuvent marcher. Mais il faut beaucoup de temps pour bâtir la confiance.
SS : Dans ce balado, nous parlons beaucoup de la difficulté de créer une entreprise et du nombre de jours gris à traverser si l'on ne fait pas confiance à son cofondateur. C'est comme avoir le mauvais partenaire sentimental; vous vérifiez son téléphone et essayez de comprendre ce qu'il fait parce que vous ne savez pas s'il fait réellement le travail ou ce qu'il fait avec l'argent. À mon avis, c'est comme une autre version d'un mariage. Et l'on ne devrait jamais épouser une personne que l'on vient de fréquenter pour la première fois à l'occasion d'une conférence.
CH : Exactement.
SS : Je veux maintenant parler de vos projets actuels chez Dialogue et de ce que vous apportez au domaine de la santé en 2020. Comment tout cela se passe-t-il?
CH : Ça va vraiment bien. En particulier pendant les premières semaines de la pandémie, je ne pouvais pas m'empêcher de sentir que nous avions de la chance d'être là où nous étions, ce qui m'a fait me sentir un peu coupable. Une partie de moi se sentait réellement mal; beaucoup de gens souffraient, alors que nos activités étaient en plein essor. La situation me semblait un peu injuste. Mais ce sentiment a changé lorsque je suis tombé sur une définition de la chance que j'ai trouvé vraiment intéressante : « La chance, c'est lorsque l'occasion coïncide avec la préparation ». Nous travaillons d'arrache-pied depuis quatre ans et demi, et nous nous préparons à ce moment depuis longtemps. Personne n'aurait pu prédire que les événements de 2020 allaient se passer ainsi, mais, en même temps, nous avions effectué tout le travail nécessaire pour être en mesure de saisir cette occasion. Nous avons un impact tellement positif sur la vie de millions de Canadien(ne)s. Notre service fait vraiment une différence, et, lorsque l'on passe une journée difficile, il suffit de s'en souvenir pour que tout aille mieux. Nous sommes maintenant arrivé(e)s à un moment où près de 10 % de la population canadienne se trouve sur notre plateforme. Cette situation nous force à travailler fort et nous fait vraiment apprécier chaque minute que nous y consacrons.
SS : 10 % : c'est incroyable. J'aime toujours parler du 18 mars : le jour où la NBA a fermé ses portes, Tom Hanks a annoncé qu'il avait la COVID-19. C'est le moment où nous avons commencé à comprendre que nous n'étions pas confronté(e)s qu'à un confinement de deux semaines avec des réserves de tonnes de papier de toilette, mais que le problème était beaucoup plus important. Emmenez-moi dans l'une de vos réunions de direction. De quoi parliez-vous? Qu'est-ce qui vous préoccupait? Étiez-vous conscient de l'occasion qui s'offrait à vous à ce moment-là ou étiez-vous concentré sur d'autres choses?
CH : Si vous me le permettez, je vais revenir à décembre 2019. Nous étions en plein exercice stratégique et nous nous intéressions alors aux deux prochaines années. Nous pensions que nous allions devoir attendre encore de trois à cinq ans avant que la télémédecine ou les soins virtuels deviennent fréquemment utilisés au Canada. Cependant, moins de 90 jours plus tard, la pandémie frappait de plein fouet. Nous avons alors connu une accélération de notre croissance qui, selon nous, allait prendre de trois à cinq ans avant de se concrétiser. À la mi-février, nous avons commencé à sentir que quelque chose n'allait pas; comme nous étions dans le domaine de la santé, nous étions un peu plus exposé(e)s à la réalité et avions une avance d'environ dix jours sur les lignes directrices provinciales générales en matière de santé.
Au cours des conversations de l'équipe de direction, à l'époque, nous croyions que l'économie était sur le point d'imploser et qu'un événement de cygne noir était sur le point de se produire. Nous avons commencé à réfléchir à ce à quoi ressemblerait l'entreprise si tous ses revenus disparaissaient ou s'ils diminuaient de 80 %. Nous avons commencé à discuter des coûts que nous pouvions réduire et des sommes que nous avions à la banque. Nous avons dû nous demander : « Comment pouvons-nous survivre à une telle situation? » De toute évidence, les solutions hypothétiques que nous avons trouvées en réponse à ces questions n'ont heureusement jamais été appliquées. Cependant, l'exercice de préparation au scénario le plus pessimiste nous a été d'une extrême utilité. Je n'avais jamais fait un tel exercice par le passé, mais j'encourage d'autres propriétaires d'entreprise à essayer de le faire. Posez-vous la question : « Dans quelle situation nous retrouverons-nous si nous perdons 20, 50, 80 ou 100 % de nos revenus du jour au lendemain? À quoi ressemble notre structure de coûts, de combien d'argent disposons-nous, comment pouvons-nous survivre? Quel est le plan? » Il suffit d'écrire une page, de la mettre dans le coffre-fort et, espérons-le, de ne plus jamais avoir à y penser - mais le simple fait de faire cet exercice mental est vraiment utile.
SS : Je veux parler des difficultés que votre croissance rapide aurait pu susciter. J'ai lu que vous avez embauché 600 professionnel(le)s de la santé en 100 jours.
CH : Oui.
SS : Ma question, c'est : « Comment est-ce possible?! »
CH : Oui, c'était insensé. Essentiellement, non seulement notre activité principale se développait à une vitesse fulgurante, mais nous avions également signé une entente historique avec la Sun Life. En six semaines, nous avions intégré deux millions de vies, et nous n'étions pas prêt(e)s à intégrer autant de membres. Nous avons donc tou(te)s mis la main à la pâte. Nous avions 27 recruteur(-se)s qui travaillaient à plein temps. L'intensification des activités s'est faite très rapidement, mais nous y sommes arrivé(e)s. Je suis très fier du fait que, en général, dans ces évolutions très rapides, il arrive un moment où il faut faire des compromis. Mais nos niveaux de service et nos temps d'attente se sont améliorés, la qualité du service que nous donnions s'est renforcée (ce qui est très difficile à faire), donc je suis vraiment fier de ce que l'équipe a accompli. Elle a réussi à faire un miracle, ce qui est assez incroyable.
SS : Les 600 professionnel(le)s de la santé que vous avez recruté(e)s sont-ils(elles) des employé(e)s de Dialogue? Comment la relation fonctionne-t-elle avec ces personnes?
CH : Je dirais qu'environ la moitié d'entre eux(elles) sont des employé(e)s à plein temps de Dialogue. Les autres sont des sous-traitant(e)s indépendant(e)s très mobilisé(e)s. Ils(Elles) n'ont rien des sous-traitant(e)s du modèle Uber, qui peuvent se connecter pour un quart de travail sur leur téléphone, être disponibles pendant une demi-heure, puis se déconnecter. Nous ne croyons pas en ce modèle. Nous voulions vraiment que nos fournisseurs développent des relations avec nos patient(e)s, et nous voulions être dans une situation où lorsqu'une personne parle au Dr Stockdale aujourd'hui, elle sait également qu'il sera en poste mercredi après-midi et qu'elle peut prendre rendez-vous avec lui à ce moment-là. Pour obtenir ce sentiment de continuité, nous imposons un nombre minimum d'heures et des quarts de travail réguliers. Nous sommes d'avis que les soins de santé diffèrent des autres modèles du marché, qui permettent d'avoir une vision différente des liquidités et de la dotation en personnel.
SS : Avez-vous déjà eu à défendre cette décision auprès des investisseurs? Est-ce quelque chose que vous avez déjà repoussé?
CH : Oh, oui, complètement. Il y a tellement d'articles qui disent que « la plus grande chaîne hôtelière du monde ne possède aucun hôtel : Airbnb ». « La plus grande compagnie de transport du monde ne possède aucune voiture : Uber. » Il est vrai qu'une entreprise de plusieurs milliards de dollars peut disposer d'une structure réduite et consommer peu de capitaux, et ce modèle est formidable et fonctionne bien pour certaines industries, mais, pour nous, les soins de santé fonctionnent différemment. C'est un secteur qui sort du cadre transactionnel, où, si vous n'aimez pas l'expérience, vous donnez une étoile au(à la) professionnel(le) et puis vous passez à autre chose. N'est-ce pas? Les conséquences et les enjeux sont assez importants. Nous avons toujours cru fermement en l'importance de « posséder l'approvisionnement ». Je n'aime pas ce terme, mais je crois que vous comprenez ce que je veux dire. Une relation entre les patient(e)s et les professionnel(le)s de la santé revêt une grande valeur, même si cela coûte plus cher. Même s'il y a des frais généraux. Même si vous considérez tous les inconvénients. Nous sommes tout de même d'avis que cela en vaut la peine.
SS : Le service que vous procurez n'est pas transactionnel, on ne peut, en aucun cas, le prendre à la légère. Je pense que, même si votre approche n'est pas celle qui est privilégiée par le modèle classique de la Silicon Valley, il est beaucoup plus logique de traiter ces interactions comme des relations, particulièrement lorsque les personnes font face à des problèmes de santé difficiles, ce qui se passe de plus en plus souvent en ce moment. Parlez-nous de quelques-unes des difficultés qui vous ont surpris tout au long de la COVID.
CH : Bien que la COVID ait apporté un vent favorable pour notre entreprise, nos clients sont également d'autres entreprises. Parmi nos clients, nous comptons une grande entreprise de divertissement basée à Montréal, et nous lisons évidemment dans les journaux qu'elle ne va pas bien. Par conséquent, nos employé(e)s se disent : « eh bien, c'est un client important », et la situation les inquiète. Nous avons également de nombreux clients dans le secteur de la vente au détail. Bon nombre de nos clients ont été grandement touchés par la pandémie, nous ne savions donc pas comment les choses allaient tourner pour nous. Nous nous demandions : « Allons-nous être payé(e)s? »
Au début, les soins virtuels étaient perçus comme un luxe et, de ce fait, nous croyions qu'ils feraient partie des premières choses que les entreprises allaient couper. En mars 2020, cette hypothèse était raisonnable. Nous nous demandions si nous allions devoir faire des mises à pied, et même si nous ne le faisions pas, peut-être que les partenaires ou les familles de nos employé(e)s vivaient des situations difficiles. Nous traversions tou(te)s la même chose, mais en tant que leader, on se demande toujours si l'on doit protéger nos employé(e)s des informations inquiétantes. Doit-on les protéger des mauvaises nouvelles ou doit-on toujours leur dire la vérité? Puis, on s'inquiète alors de déprimer ses troupes en faisant preuve d'une trop grande ouverture et en démontrant une trop grande vulnérabilité. Donc, en tant qu'équipe de direction, il n'était pas facile de traverser cette période.
SS : Je suis toujours curieuse de savoir ce que les dirigeant(e)s pensent de ces discussions, car j'ai travaillé dans des entreprises qui ont connu une grande croissance, suivie de licenciements massifs. Parfois, en tant qu'employé(e), on a l'impression que tout change du jour au lendemain. On ne voit pas ce qui se passe dans les salles de conférence, il n'y a pas beaucoup de transparence quant aux sujets de discussion qui sont abordés lors de ces conversations. Dans le contexte de la COVID, les investisseurs conseillaient à toutes les entreprises en démarrage de licencier 20 % du personnel, quel que soit leur secteur d'activité. C'est donc ce que les employé(e)s entendent, mais leurs dirigeant(e)s leur apportent parfois aussi une version vraiment positive et confiante et leur disent que tout va bien se passer. Que pensez-vous de cet équilibre et quel ton avez-vous adopté envers votre équipe?
CH : Je pense qu'il y a un énorme écart entre nos sentiments et nos propos. Les gens comprendront toujours cela. Même si l'on pense être le meilleur acteur du monde et même si l'on croit pouvoir tromper les gens, les gens sont intelligents et, si l'on n'est pas ouvert, transparent et authentique, ils s'en rendent compte. Je me suis donc donné comme politique personnelle d'être le plus authentique possible.
Parfois, nous avons hésité entre deux directions à donner à l'entreprise. Je disais alors à l'équipe que nous avions hésité entre les options A et B, et que nous avions choisi l'option B. Nous savions que le choix pouvait ne pas sembler évident pour tout le monde, nous expliquions donc les raisons qui avaient motivé notre choix. Nous étions honnêtes et affirmions que nous avions peut-être pris la mauvaise décision, et que nous espérions que ce n'était pas le cas, mais nous expliquions les raisons de notre choix.
Je pense aussi que, parce qu'ensemble, en équipe, nous avions traversé beaucoup de hauts et de bas, de grandes choses et des échecs, j'avais réussi à gagner la confiance de mon équipe. Tou(te)s les autres membres de l'équipe de direction avaient gagné la confiance de leurs équipes. C'est grâce à cette confiance que nous avons pu avoir ces discussions ouvertes, où les employé(e)s se sentaient à l'aise de poser des questions vraiment difficiles et, parfois, nous n'avions pas les réponses. Et ce n’était pas un problème.
SS : Je me souviens que c'est l'une des meilleures leçons de leadership que j'ai apprises. Lorsque j'ai assumé un rôle de gestionnaire de personnel, mon patron m'a dit à un moment donné : « Tu n'as pas à avoir réponse à toutes les questions. » Pour une raison quelconque, je croyais qu'à titre de gestionnaire de ce groupe de personnes, si celles-ci venaient me poser des questions, je devais avoir une réponse à leur donner. Mon patron m'a donné la permission de leur dire : « Je vais vous revenir à ce sujet. Je n'ai pas toutes les réponses pour le moment. » C'est l'une de mes leçons de leadership préférées : que les gens comprennent si vous ne savez pas tout, que vous êtes humain aussi.
Vous avez compris cette leçon d'entrepreneuriat et vous avez réussi à plusieurs reprises, mais à l'heure actuelle, il y a beaucoup d'entrepreneurs et de propriétaires de petites entreprises qui traversent une période sombre. Que ce soit à cause de la COVID et de l'absence de contrôle sur leurs résultats, ou parce qu'ils essaient simplement de démarrer un projet et que c'est vraiment difficile, les temps sont durs pour les petites entreprises en ce moment. Si vous songez à votre expérience, quels conseils leur donneriez-vous? Que leur diriez-vous?
CH : Lorsque nous augmentions notre série B, à un moment donné, les choses n'allaient pas très bien. Nous tirions de la patte, car nous ciblions le mauvais type d'investisseurs en leur présentant la mauvaise histoire. Nous n'obtenions pas la traction souhaitée. Nous voyions nos chances diminuer chaque jour, et nous commencions à trouver cela inquiétant. À cette époque, je lisais L'art de la victoire de Phil Knight, le fondateur de Nike. Knight a surmonté des défis très difficiles à divers moments au cours du parcours de Nike, où il pensait très honnêtement et sincèrement que c'était la fin de son entreprise. Cela m'a fait réaliser qu'il y a un arc dans chaque histoire entrepreneuriale; il faut alors traverser le mur ou les moments très difficiles pour en ressortir plus fort de l'autre côté. Il faut croire que rien n'arrive par hasard et que tout va finir par s'arranger.
Vous voulez écouter l'entrevue que Cherif Habib a accordée au balado The Growth Effect? Écoutez-la ici (en anglais).